60

 

L’être est sacré et le vide est la demeure.

Huston Smith.

 

Les soleils brûlants perçaient l’épais brouillard d’après la tempête, échauffant le nez blanc et les bras nus de Crista Galli. Une brise marine, soulevant des volutes de brume, rafraîchissait sa peau de satin. Elle avait perçu le whouf des lames de fond qui surgissaient derrière le brouillard et elle pouvait maintenant juger de leur proximité réelle.

— La marée a encore changé, lui dit Ben.

Il tenait sa main droite dans la sienne, mais sa voix lui parvenait comme à travers une grande distance, comme s’il éprouvait de la difficulté à remuer la langue. Il clignait fréquemment des yeux et ses mouvements étaient d’une lenteur exagérée.

Il est poudré, se dit-elle. Je me demande ce que l’on ressent.

Elle était à présent convaincue que la poussière de spores l’avait rendue à la réalité et non éloignée d’elle. C’était son antidote personnel, un antiamnésique capable d’ouvrir les vannes et de laisser couler le flot mémoriel.

Elle se souvenait de Zentz. Il était simple capitaine quand il avait fait irruption dans le labo de la Résidence qui lui servait d’habitation. Il avait enlevé la spécialiste à qui elle se confiait parfois, une jeune Ilienne qui enseignait la psychiatrie à l’université TaoLini. Une fois par semaine, Addie venait interroger Crista sur ses rêves et passait généralement tout l’après-midi avec elle au solarium où elles prenaient le thé ensemble. Crista avait pris conscience dans ce labo sous la forme d’une jeune fille humaine de vingt ans, totalement amnésique.

En tant que psychiatre, Addie Cloudshadow s’efforçait de ramener ses souvenirs à la surface. Mais elle était rapidement devenue la première amie de Crista. À cause de Zentz, celle-ci n’avait plus jamais osé avoir d’autres amis jusqu’à ce qu’elle connaisse Ben. Zentz avait fait irruption dans le labo ce jour-là, laser au poing, en disant simplement : « Venez avec moi. » Il avait abattu Addie juste derrière la porte. Les sédatifs avaient fini par avoir raison de la réaction hystérique de Crista et Flatterie avait promis de s’occuper de Zentz. Quatre ans plus tard, ce dernier était devenu chef de la sécurité de Flatterie et Crista s’était juré de s’échapper de la Résidence.

Aujourd’hui, la brume l’empêchait de voir ce qu’il y avait de part et d’autre de l’étroite bande de plage. La vue de Zentz l’aurait terrifiée seulement la veille, mais aujourd’hui elle ne ressentait aucune peur. Quelque chose dans le signal clignotant de la mémoire du varech la mettait en garde contre Nervi, la deuxième ombre cachée par la brume, mais éclairait aussi une certaine tension entre les deux hommes qui finirait, elle le savait, par se retourner contre eux.

Le varech avait rejoué pour elle la scène de l’incident lorsque Nervi avait refait le plein de son appareil. Elle avait même pu faire une brève incursion dans l’esprit de Zentz. Jamais elle n’avait connu autant d’horreur ni autant de terreur. Il y avait aussi de la haine, qui avait fait place depuis longtemps à une peur de Flatterie qui, à son tour, s’était transformée en peur personnelle et intense de Spider Nervi.

Divisés, ils tombent, se dit Crista.

L’univers de Flatterie était en train de s’écrouler, en proie à ses conflits internes, agité de soubresauts qui le détruisaient plus vite qu’il ne pouvait détruire les autres. C’était ce que Zentz avait entrevu lorsque le varech l’avait saisi, et seule Crista connaissait l’intensité de sa résolution de ne pas mourir sous la botte de Flatterie ou de la main de Nervi.

De l’endroit où elle se trouvait parmi les rochers, Crista n’apercevait que le bouillonnement des vagues et une partie de l’océan à l’arrière-plan. La grève était cachée par la brume salée et la mer luisait jusqu’à l’horizon. Partout, à perte de vue, d’énormes tentacules du varech se soulevaient paresseusement pour retomber lentement dans des gerbes d’écume. Crista tirait un grand réconfort de la contemplation du varech et de l’horizon infini.

— Drôle de moment pour être poudré, grommela Ben en secouant la tête.

— Rico a un plan, chuchota Crista. Il va agir… maintenant !

Elle sentit ses cheveux se dresser sur sa tête lorsque la danse électrique des points lumineux projetés par Rico crépita autour d’eux comme un bouclier d’énergie. Les soleils à leur apogée chassèrent le brouillard de la partie mouillée de la plage et firent sécher sur la peau de Crista une fine pellicule de sel. La brume compacte accentuait l’aspect surréel de l’hologramme grandeur nature créé par Rico. Vu de l’arrière, c’était comme si l’on regardait à travers un miroir embué qui refusait de refléter les choses. Elle percevait confusément les ombres de Nervi et des autres qui hantaient les bords de l’image holo grâce à laquelle Ben et elle étaient oblitérés du paysage qu’ils avaient devant les yeux.

Nervi et Zentz avaient pris position derrière le rideau de lumière et se lançaient des codes stratégiques.

— Mouvement tournant sur flanc gauche, dit Nervi d’une voix posée et précise. Couvrez le haut, je prends la pointe et le sol.

— Mais… mais ils ont… disparu !

— C’est un stratagème. Une astuce de caméra. Ils sont à l’intérieur et ne peuvent pas s’échapper. Position ?

— Atteinte. Dix mètres, flanc gauche. Je n’y vois que de la merde dans cette putain de soupe.

C’était plus un gargouillement qui sortait de sa gorge que de vrais mots.

— Ozette ! cria Nervi. Elle est malade. Si elle ne rentre pas, elle meurt. Vous le savez. Vous n’avez pas le choix. Faites-la sortir.

Les doigts de Ben se posèrent sur ses lèvres.

— Il ne nous voit pas, chuchota-t-il. Ne bouge pas.

Elle était incapable de distinguer une personne d’une autre. Le tableau holo géant dansait sur son rideau de brume. Des silhouettes fantasmagoriques à l’extérieur du champ holo se transformèrent en un flou futile. Trois éclairs de lasers trouèrent le rideau de lumière pailletée et une cascade de prismes s’illumina autour d’elle. Ben la força à se baisser et l’image se reforma en un clin d’œil.

— Reste comme ça, ne bouge pas, murmura-t-il. C’est une représentation holo parfaite. Absolument parfaite.

Elle rampa avec lui jusqu’à un lambeau de gyflotte étalé sur un rocher de lave noire. Bien que très faible, une volute d’images s’élevait de ce morceau de peau, emplissant l’esprit de Crista d’une fresque linéaire centrée sur l’actualité politique confuse de Pandore. La membrane épaisse de la gyflotte avait emmagasiné la chaleur des soleils de l’après-midi. Blottie contre Ben, elle se sentait ici en sécurité. Des éclairs de lumière solaire perçaient de manière intermittente l’hologramme qui les entourait. Elle puisait des forces nouvelles dans le contact de cette gyflotte, ainsi que la certitude confiante que Nervi allait échouer.

— Ils ne peuvent pas nous voir tant que nous restons à l’intérieur de l’image, chuchota Ben.

Sa voix était épuisée par l’effort de concentration que la poudre bleue courant dans ses veines rendait presque impossible. Il était collé au rocher, mais son regard mobile enregistrait tous les détails qu’il pouvait.

— C’est fantastique ! murmura-t-il. Nous sommes à l’intérieur d’un tableau holo… Où a-t-il pu trouver les triangulateurs capables d’accomplir un tel prodige ? Et avec une résolution qui…

— C’est le varech, lui dit Crista. Avata lui a fourni tout ce dont il avait besoin.

— J’aimerais bien voir ce qui est en train de se passer, murmura Ben. Nous sommes pour l’instant dans un trou à l’intérieur du spectacle de lumières. Tu vois le bord, juste là ? Le tableau holo de Rico suit les contours de la gyflotte. Il se sert de sa peau comme d’un foyer.

Son doigt suivit la peau de gyflotte jusqu’à son extrémité et sembla disparaître lorsqu’il passa à travers l’hologramme. Il y eut un frémissement de lumière momentané et une ombre plus dense autour de son doigt. Ce furent les seuls signes qui troublèrent l’image.

— Le brouillard rend l’illusion particulièrement convaincante, dit-il. Tous ces petits éclairs que tu vois sont provoqués par les rayons des lasers qui se reflètent sur les gouttelettes d’eau en suspension dans le brouillard. C’est du plus bel effet.

— Je la ramènerai morte ou vive, Ozette ! reprit la voix de Nervi, plus proche, à quelques pas d’eux seulement. Si elle est morte, tout le monde croira que vous l’avez tuée. Et si elle est vivante… nous aurons tous une chance de nous en tirer.

— Retourner là-bas… murmura Crista. Je n’appelle pas ça vivre.

— Ne t’en fais pas. Il sait très bien comment cela finira.

Trois nouveaux éclairs trouèrent le rideau de lumière et enveloppèrent le rocher au-dessus d’eux d’un éblouissant manteau de paillettes rouges et mauves. Ben entoura Crista de ses bras pour l’abriter entre le rocher et lui. Elle avait l’impression que la poussière de spores la faisait émerger de son état de rêverie au lieu du contraire. Elle sentait ses idées et ses perceptions plus claires que ce qu’elle avait jamais connu quand elle était prisonnière de Flatterie.

— La poudre… Je crois que tu avais raison, dit-elle à Ben. Elle annule les effets de ce que Flatterie m’a fait prendre.

Elle se blottit encore plus fort dans les bras de Ben, comme si elle voulait se fondre en lui et mêler les oscillations de leurs atomes. Elle se sentait transposée en particules de lumière et d’ombre. Elle n’était plus un assemblage de substance mais une idée, une image, un rêve. Elle ne ressentait ni douleur ni plaisir, simplement une impression de transmission, de mouvement obéissant à des motivations sur lesquelles elle ne possédait aucun contrôle.

— Ben, demanda-t-elle, soudain effrayée. Ben, tu es là ?

— Oui, dit-il dans un souffle à son oreille. Je suis là.

— Excuse-moi, murmura-t-elle.

Elle savait que quelque chose allait arriver. Ses sens atteignaient un paroxysme que rien ne pouvait plus empêcher.

— Excuse-moi, répéta-t-elle.

Une sensation semblable à celle qu’elle avait éprouvée sur les quais à Kalaloch grossissait en elle puis explosa dans un grand souffle qui sortit de son cœur comme le roulement d’un monstrueux tonnerre. Tout ce qui était autour d’elle se figea subitement à l’exception du flot de plus en plus fort de la marée montante.

Bienvenue à la maison, Crista Galli.

La voix qui parlait dans sa tête n’avait pas besoin de son pour s’exprimer. Elle sortait d’un seul jet de la gyflotte agonisante, d’Avata.

Un sentiment de détachement rafraîchissant, puis de désincarnation familière l’envahirent. La distinction entre la peau de la gyflotte et la sienne devint floue. Elle fut saisie par un frisson qu’elle connaissait bien. C’était celui d’une lutte muette qui correspondait à une sorte de mort corporelle donnant naissance à la grande gyflotte de son esprit. Elle déploya sa membrane vélique à la lumière des soleils et prit sa première respiration.

Nous sommes nées de la même souche, Crista Galli.

Elle se souvenait maintenant. Avant les explosions des grenades sous-marines qui l’avaient fait monter à la surface, elle était attachée, en sécurité, à une cosse du varech. Les souvenirs affluaient avec une rapidité étourdissante. Le gémissement de Ben à son oreille la fit revenir sur la plage où ils étaient blottis. Le tableau holo avait disparu. La brume s’était suffisamment dissipée pour qu’ils aperçoivent les corps qui jonchaient la plage.

— J’ai cru mourir, dit Ben en se massant les tempes. Que… qu’as-tu fait ?

Crista ne pouvait lui répondre. Elle était à cheval sur deux mondes. Celui de la plage, avec Ben, et celui de la mer avec son grand protecteur, Avata. Le tableau holo avait disparu en même temps que le coup de tonnerre et Nervi gisait sur la plage, presque à portée de son bras. Il clignait des yeux d’un air hébété et un filet de sang coulait de son nez aux veinules rouges grossies. Crista se redressa lentement et ramassa le laser. Rico, étourdi lui aussi, fut le premier à reprendre ses esprits. Il fit la même chose avec le laser de Zentz.

— Toutes mes excuses, petite sœur, dit-il avec une légère courbette et un sourire énigmatique. Il y a beaucoup de choses que votre frère ignorant n’avait pas comprises.

Il tituba et faillit tomber, mais se rattrapa à la paroi du grand rocher et se mit à rire.

Les autres autour d’eux commençaient à sortir de leur évanouissement en secouant la tête. Quelques-uns, victimes des lasers, ne se relèveraient plus jamais.

Crista se sentait plus forte, plus grande physiquement. Même Rico, semblait-il, était petit à côté d’elle. Elle respira à fond l’air chargé d’embruns de la plage et cela lui insuffla une nouvelle clarté d’esprit. Ses jambes étaient plus fortes pour soutenir son jeune corps. La marée bouillonnait à ses pieds et à quelques mètres de là elle léchait le corps toujours inconscient de Nervi dans le sable.

— Alors, Rico, vous voulez toujours me tenir éloignée du varech ?

Il secoua la tête en riant.

— Deux règles d’or, dit-il. La première, ne jamais discuter avec une femme qui tient une arme.

Elle leva le laser de Nervi comme si elle le voyait pour la première fois puis demanda :

— Et la seconde ?

— Ne jamais discuter avec un homme armé.

Elle rit à son tour et Ben les imita.

— Tu as pourtant tenu à discuter avec Nervi, dit-il, et vois où cela l’a mené.

— Je n’ai pas discuté, fit Rico. Je l’ai trompé. Ou plutôt, c’est Avata qui l’a trompé. Mais nous avons du travail. Croyez-moi ou non, il faut absolument que nous sauvions Flatterie. Si nous ne le faisons pas…

— Le sauver ? s’écria Ben d’une voix où filtrait la rancœur. C’est lui qui est responsable de tout. Il devrait en subir les conséquences.

— Pas si nous devons les subir aussi, dit Crista. Si toute vie humaine sur Pandore doit s’éteindre. Il en a le pouvoir. Je le sens. Rico a raison. Flatterie doit être neutralisé, mais laissé en vie.

Les Zavatariens hébétés commençaient à se relever et à retrouver leurs esprits. Ben souleva Nervi par les épaules et le traîna un peu plus haut sur la plage, à l’abri de la marée. Un Zavatarien vint l’aider et attacha les poignets de Nervi dans son dos à l’aide d’une robuste lanière de maki.

— Ce tableau holo, fit Ben. Je n’ai jamais rien vu de pareil. Comment as-tu fait ?

— Je me demandais quand tu finirais par poser la question.

Il ramassa un filament de varech sur la plage, le caressa un instant puis le rejeta à la mer.

— Voilà comment j’ai fait. Je pense que nos amis zavatariens ont ces deux minables bien en main. Suis-moi. Je voudrais te présenter à mon ami Avata, le plus grand directeur de studio holo du monde.

Un bref cri d’avertissement, poussé par une sentinelle postée au sommet de la falaise, fut immédiatement suivi par l’apparition imprévue d’une meute de capucins sortie de la brume en un sinistre mouvement flou. Ben arracha le laser des mains de Crista, tout en la poussant vers Rico, et lâcha une brève giclée. Une odeur d’ozone accompagna la détonation. Deux capucins retombèrent dans une gerbe de jappements et de sable à une dizaine de mètres d’eux à peine. Les autres se précipitèrent aussitôt sur eux pour les dévorer, comme leur instinct les y incitait. Un Zavatarien vida son chargeur sur le reste de la meute.

— Ils sont… si rapides… haleta Crista en s’apercevant qu’elle s’agrippait au bras de Rico.

Il ne la repoussa pas, cette fois-ci, mais posa la main sur son épaule qu’il serra gentiment.

— Pas le temps de réfléchir, côté surface, dit-il. Je constate que l’âge ne t’a pas ôté tous tes réflexes, ajouta-t-il en se tournant vers Ben.

— Il y en a qui restent jeunes éternellement, lui dit son ami en riant. C’est peut-être dû à mes fréquentations.

Il prit la main de Crista et tous les trois respirèrent à l’unisson l’air saturé d’embruns.

— Si elle n’est pas trop abîmée, nous vous donnerons un morceau de cette peau comme souvenir, dit Rico à Crista.

— Que ferais-je d’un morceau de peau morte ? murmura Crista avec un frisson, comme si un doigt glacé venait de lui parcourir l’échine. C’est la vie qui m’intéresse.

— Bien parlé, approuva Ben. Mais j’ai hâte de voir le mystérieux studio de Rico.

Une bouffée de vent chassa de la grève les derniers vestiges de brume et Crista sentit sur sa peau pâle la caresse des deux soleils. Sa combinaison de plongée miroitait tandis que la marée prenait possession, telle une amibe, des derniers rochers qui marquaient ses limites. Sans lâcher la main de Ben, elle suivit Rico en direction de la falaise. Deux Zavatariens en combinaison verte étaient postés devant un large passage entre deux rochers.

— C’est là-dedans, leur dit Rico. Mais ce que vous allez voir, ce n’est rien à côté de la manière dont je suis arrivé ici. Attention, la roche est glissante.

Crista s’arrêta dans l’obscurité de l’entrée. Elle sentait sur son visage un souffle d’air humide. Une série de gravures représentant des thalles entrelacés de varech, des poissons et des soleils décorait la paroi intérieure. Elle se tourna pour lever une dernière fois son visage en direction des soleils avant d’affronter l’obscurité.

— Regarde, lui dit Ben en désignant le ciel. Des gyflottes. Elles apportent l’hydroptère qui a servi aux deux autres.

Une demi-douzaine d’outres volantes avaient fait leur apparition, venant de l’intérieur des terres. Deux d’entre elles portaient l’hydroptère étincelant au creux d’un berceau de tentacules. Elles se laissèrent descendre, en cercles paresseux, jusqu’à une centaine de mètres de la plage, puis lâchèrent leur hydrogène en émettant leurs bruits flûtes qui comprenaient un long sifflement aigu signifiant « pas de danger ». Leurs grandes membranes véliques battaient et claquaient sous la brise côtière quand elles changeaient de direction. La lumière solaire, à travers leur peau, leur donnait des reflets d’un orange foncé et Crista apercevait déjà, à cette distance, le réseau délicat de leurs veines.

— Les gardiennes de l’Oracle, murmura l’un des Zavatariens. Elles nous sont envoyées, comme vous, par Avata, pour nous aider. Il n’y a rien à craindre.

Crista Galli avait l’impression que les cris flûtes lancés au vent par les gyflottes appelaient : « Avataaa ! Avataaa ! »

— Suivez-moi, leur dit Rico. Laissons ces gens faire le ménage. Nous n’avons plus beaucoup de temps.

Ils franchirent une haute voûte de pierre taillée et Crista, qui s’attendait à se retrouver dans l’obscurité, fut surprise de voir un bassin illuminé d’une magnifique lumière qui venait du varech flottant à la surface. Comme la brise tout à l’heure sur ses joues, la lumière vibrait d’une douce pulsation qui évoquait quelque chose de vivant.

— Avata m’a conduit ici par l’océan, leur dit Rico. Le bassin communique avec le varech. Il se vide et se remplit avec la marée. J’ai été rejeté à la surface. Comme vous le voyez, il est bien occupé en ce moment.

L’odeur iodée de la plage était remplacée ici par le parfum de milliers de fleurs, bien qu’il n’y en eût pas une seule de visible. Une racine de varech s’élevait du bassin au centre de la caverne et se perdait dans les hauteurs de la roche.

— La racine descend de la voûte, murmura Ben. Toute la falaise a été mise sens dessus dessous par le tremblement de terre de 82. Regardez-moi un peu ce monstre !

Elle vit qu’il avait raison. La racine ne montait pas du bassin, mais y plongeait. Sa partie supérieure, à une trentaine de mètres ou plus au-dessus de leurs têtes, était indiscernable contre la roche où elle se fondait. Autour d’elle scintillaient les mille reflets de ses paillettes de minéralisation.

— Elle est vraiment ancienne, murmura Crista en penchant le cou pour mieux voir. Vraiment très, très ancienne.

Les parois de l’immense caverne s’étageaient en terrasses jusqu’à l’endroit où la racine rejoignait la voûte. Les terrasses étaient cultivées et les parois tapissées de branches grimpantes lourdement chargées de fruits. Un comité de réception composé d’une foule en costumes multicolores attendait en lui souriant parmi la végétation. Quand ils s’avancèrent tous trois dans le passage qui contournait le bassin, des applaudissements retentirent et le cri scandé de « Crista ! Crista ! Crista ! » entra en pulsation au même rythme que la lumière du bassin.

— Regarde-toi, lui dit Ben en élevant la voix pour couvrir le vacarme. Tu es phosphorescente !

C’était vrai. À l’exception de la main que tenait Ben, un halo lumineux entourait son corps. Ce n’était pas le reflet du bassin sur sa peau blanche et sa combinaison de plongée, car les pulsations étaient en harmonie avec les battements de son cœur et elle se sentait plus forte à chaque battement.

— Merci, dit-elle en s’inclinant devant la foule. Merci à tous. Les espoirs que vous placez dans la nouvelle Pandore seront bientôt réalisés.

Elle s’avança jusqu’au bord du bassin et se fondit dans l’émanation de lumière blanche qui lui donnait accès, de nouveau, au cœur d’Avata. Ce fut comme si elle ouvrait mille yeux sur le monde, partout en même temps. Et avec certains de ces yeux, elle se voyait regardant Avata dans le bassin.

Elle entendit sa propre voix qui s’élevait, remplissant la caverne avec une ampleur qu’elle n’avait jamais eue avant.

— La peur est la seule monnaie qui ait cours au royaume de Flatterie, annonça-t-elle. Nous allons lui racheter sa part dans cette monnaie.

Des images surgirent de la surface du bassin comme à un commandement de sa main tendue et remplirent la caverne de petits spectres vifs et lumineux. Le corps de Crista enfla jusqu’à sa dimension océanique et elle leva de joie ses mille bras au ciel.

Un cri échappa à l’une des sentinelles qui hurla :

— Le varech ! Regardez le varech !

Mais personne n’eut à sortir pour voir le spectacle. Il se déroulait en même temps à l’intérieur de la caverne. Dans toutes les mers de Pandore, le varech soulevait ses tentacules géants au-dessus de la surface. Des arches de lumière multicolore reliaient des gisements éloignés tandis que les gyflottes elles-mêmes traçaient de grands sillages d’étincelles avec le lest qu’elles traînaient derrière elles, ouvrant de nouvelles voies de communication entre les gisements isolés, aussi bien sauvages que domestiques.

Rico souriait à travers ces cascades de lumière et Crista perçut la différence entre le Rico qu’elle avait connu et celui qui les avait sauvés sur la plage. Celui-ci était heureux.

— Regardez Avata ! cria-t-il à la foule. Le varech s’est éveillé ! Longue vie à Avata !

Les applaudissements et les exclamations de joie firent place aux rythmes sourds des tambours à eau et des flûtes.

— Mais, comment…

Ben ravala sa question. Il essayait désespérément de suivre des yeux le spectacle qui l’entourait. Un cortège de fantômes venus de tous les coins de Pandore se déversait parmi les gens de la caverne comme un raz de marée holographique.

— Ce sont des couloirs mentaux semblables à ceux du varech, expliqua Rico. Mais ils ne sont plus fonction du toucher.

Il se tourna vers Crista Galli et prit ses deux mains dans les siennes. La lumière autour d’eux devint encore plus intense.

— Bien que pour vous cela n’ait duré que quelques instants, j’ai été loin de vous durant des années, dit-il. J’ai vu se dérouler votre vie, la mienne, celle de Flatterie. Il a introduit dans son corps un déclencheur secret qui tuerait le varech s’il venait à mourir. Si son cœur s’arrête de battre, un émetteur libérera son stock de toxine dans le monde entier. En quelques instants, le varech serait paralysé et détruit. Vous voyez pourquoi nous devons isoler Flatterie, le neutraliser, le protéger contre sa propre ignorance. Entrez dans le varech. Dites au monde ce que vous savez.

Crista se sentit attirée vers le bord du bassin et un murmure immense emplit la caverne quand elle posa le pied sur la racine géante du varech. Ce qu’elle ressentit à ce moment-là était une pure joie. Elle était devenue la force vitale de tous ceux qui étaient là et elle mêla son être à celui du jeune Kaleb Norton-Wang.

En l’espace de quelques battements, le réseau tissé à travers le monde s’amplifia. Dans les Oracles, les gens qui consultaient le varech la sentirent entrer dans leur esprit comme ils entraient dans le sien. C’était un abandon collectif, chaque partie prenant sa place dans le tout. Elle avait l’impression de tournoyer comme une particule de poussière dans un courant d’air et des filaments de lumière s’échappaient de chacune de ses cellules pour se disperser dans le monde. L’un d’eux, parti du centre de son front, quitta la planète pour toucher les fidèles en orbite autour d’elle. De son poste sur l’Orbiteur, elle vit les océans de Pandore miroitant d’une lumière nouvelle.

Tu vois, Crista Galli, lui dit la voix intérieure. Les branches coupées se regreffent. En toi, les parties se rejoignent, et Avata est bien plus que la somme de ses parties.

Le Facteur ascension
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